Prendre du recul sur 40 ans de vie professionnelle

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L’entreprise : l’humain est au cœur du système

Sans vraiment le réaliser, cette fin d’année résonne de façon particulière pour moi. Après 30 années de travail salarié et 10 années de travail en indépendant, je bascule dans une 3ème étape, communément appelée « retraite », bien que je n’aie pas réellement l’intention de me retirer du jeu si vite …

La thématique de notre magazine est sur la prise de recul. Quelle belle occasion de partager avec vous quelques enthousiasmes et convictions que je me suis forgées tout au long de ces années ; convictions qui ont muri par le vécu, l’observation, les échanges.

La 1ère thématique qui me vient à l’esprit concerne la puissance des compétences présentes dans les entreprises. Je suis toujours admirative de la compétence, du savoir-faire de chaque personne. J’aime entendre les personnes parler de leur métier et de ces savoir-faire que je ne connais pas. Je suis frappée par cet attachement à faire bien. Je ne me souviens pas avoir rencontré une seule personne en 40 ans qui n’était pas attachée à la qualité du travail. J’ai vu de la souffrance, de la colère, de la lassitude, de la fatigue, de la démotivation mais jamais de désintérêt pour le métier. Ces compétences et cet amour du travail bien fait sont une richesse inestimable pour l’entreprise.

J’ai vu des entreprises qui, au-delà des diplômes, promeuvent les évolutions professionnelles et les changements de poste en misant sur les compétences acquises sur le terrain et sur la capacité de la personne à apprendre, à évoluer. Cela me touche toujours beaucoup car c’est reconnaître chacun pour ce qu’il est dans sa dynamique personnelle. J’ai observé que ces entreprises avaient une grande capacité à évoluer, rebondir, innover.

J’ai vu des entreprises, souvent des TPE ou PME, dont les dirigeants sont dans une grande humilité, ont une claire conscience que le savoir-faire et la valeur de l’entreprise sont entre les mains de leur équipe.

Malheureusement, parfois, des entreprises sous-estiment le temps nécessaire au transfert de savoir-faire lors du départ d’une personne. Gardons en mémoire que ni les managers, ni les collègues n’ont une pleine conscience de la compétence acquise. Elle est toujours sous-estimée.

Parfois, aussi, les relations entre les personnes ou entre les services sont ternies par la méconnaissance du métier de l’autre. Le travail de son collègue est évalué avec le filtre de son propre prisme, celui de son propre métier. Cela provoque une énorme déformation et incompréhension. J’encourage chacun, à tous les niveaux de l’entreprise, à développer une grande curiosité et une grande admiration du travail de chacun. Non dans un objectif d’idéaliser un monde qui n’est bien-sûr pas parfait, mais pour aborder les difficultés et les écarts sans jugement, dans l’écoute, l’échange et la co-construction. Le comportement exemplaire des managers me semble, dans ce domaine, essentiel.

Je m’interroge également : quel pourcentage des compétences de chacun utilisons-nous vraiment ? Prenons-nous suffisamment de temps pour écouter l’expérience terrain ? Donnons-nous à chacun suffisamment d’occasions d’exprimer ce que la pratique de son métier révèle ?  Laissons-nous le temps aux personnes de partager leurs expériences, leurs pratiques, leurs connaissances ?

Le 2ème point que je souhaite partager avec vous concerne le comportement social et relationnel. J’ai observé, au sein des entreprises, une très grande volonté d’accueillir, d’aider, de travailler ensemble. Chacun le fait à sa manière, avec rationalité ou avec émotion ; chacun en attend des choses différentes. Mais les relations sont importantes pour chacun et la coopération un réflexe naturel. Je suis toujours touchée de voir cet élan qui nous relie aux autres, au groupe.

Parfois, des tensions, des déceptions, des rancœurs perturbent les relations et donc la coopération. Cela provoque de la souffrance et des comportements déviants. J’ai observé que souvent l’organisation et les personnes tardent à prendre la mesure de la gravité des conséquences sur l’efficacité et sur la santé des personnes. Ou bien une certaine fatalité s’installe laissant les tensions s’aggraver. Mon expérience m’amène à  clamer haut et fort que le potentiel de réconciliation est énorme. Un processus d’expression et d’écoute adapté permet de rétablir les relations et la coopération. Car le besoin de relation et de travailler dans la coopération reste bien toujours présent.

Une organisation fonctionne bien si le cadre est clair et si les relations sont basées sur la confiance. Si cela ne fonctionne pas au niveau attendu, ne cherchez pas le coupable, il ne sera que le bouc-émissaire. Le vrai responsable est systémique, toute dégradation de la relation est une co-responsabilité. Prenons alors le temps de nous parler, de nous écouter : pas uniquement sur l’opérationnel mais également sur nos modes de fonctionnement, sur ce qui est important pour chacun. J’ai observé souvent, dans les entreprises, une difficulté à dédier du temps pour se parler de la manière dont on fonctionne ensemble, ce qui convient, ce qu’on aimerait voir fonctionner différemment dans le futur.

Les 2 points suivants me tiennent également à cœur. Ils concernent des réflexions consécutives à des observations du fonctionnement et habitudes en entreprise.

Je souhaite tout d’abord parler d’agilité. Ce terme, très souvent employé, est le signe d’un besoin d’adaptation dans des contextes incertains. Mais parfois ce terme est devenu un mot magique, un sésame qui donne tous les droits en termes de changement de décision. Il suffit aux personnes d’être agiles pour  les absorber ! Comme si le fait d’être agile neutralisait l’impact de ce changement.

C’est une grave erreur. Tout changement a un impact et en faire le déni peut amener les personnes à la perte de sens dans l’action voire à l’épuisement.

Car l’agilité n’est pas un blanc-seing donné au management pour changer de décision dès qu’un imprévu arrive. L’agilité, c’est définir des périodes de stabilité entre lesquelles les décisions peuvent changer. Nous avons juste parfois oublié l’existence de ces périodes de stabilité ! Pour « être agile », nous devons donc définir la période de stabilité et accepter de la laisser se terminer avant d’envisager le changement de décision.

L’agilité, contrairement à l’idée que nous nous en faisons, demande de se poser, de prendre du recul sur l’activité, et de faire preuve de patience. L’agilité ne peut donc pas être une alternative à la préparation et à l’anticipation.

Ma 2ème réflexion est dans la prolongation du point précédent. Non seulement nous demandons souvent aux personnes d’être « agiles » (comprendre : accepter à tout moment des changements de décisions ou de priorités) mais en plus nous leur demandons d’être dans une disponibilité permanente à leurs collègues, aux clients, à leur manager …. Mails, chat, téléphone, entrée/sortie dans le bureau, open space : les moyens pour solliciter ne manquent pas et ici le sésame est « c’est urgent ». Soit chacun s’est transformé en superman/superwoman, soit nous créons les conditions d’une perte importante d’efficacité, de sens et de responsabilité en même temps qu’un accroissement des risques d’épuisement.

Je recommande vivement à chaque manager de demander aux membres de leur équipe de se bloquer chaque jour un créneau pendant lequel la personne s’isole (visites, téléphone, mail, chat, …) pour réaliser ses tâches de fond. Un temps pendant lequel la personne a une pleine liberté de décider à quoi elle consacre ce temps. Une liberté d’organisation lui permettant de prendre du recul sur son travail, de retrouver la pleine responsabilité de sa mission.

La mise en place de cette pratique provoque un changement d’habitudes au sein de l’éco-système de l’entreprise : re-apprendre à préparer, anticiper. En dehors de ces moments particuliers, les sollicitations ne sont alors plus vécues comme un dérangement, mais elles sont accueillies dans la coopération puisque la personne qui les reçoit aura choisi de s’ouvrir à ces sollicitations. Préservons-nous des moments d’indisponibilité pour être mieux disponibles.

L’entreprise est un projet collectif dans lequel chacun a son espace de créativité et de développement, où la diversité des personnes est une valeur. C’est ce qui en fait sa noblesse. Prenons soin du sens de ce projet collectif, prenons soin de cette diversité même si parfois elle nous bouscule, prenons soin de chacun en écoutant ce qui est important pour lui.